Expression citoyenne

LE DOCUMENTARISTE EN QUÊTE D’UNE PAROLE CITOYENNE

Explorer les territoires de nos représentations et de nos discours citoyens. Du travail que nous avons mené, qui s’est révélé riche, productif, mobilisateur, nous allons tenter ici de retracer le cheminement dans ses grandes lignes, à travers quelques-unes de ses étapes successives. Avec pour visée de dessiner les contours d’un modèle de production de proximité, sur lequel d’autres pourront peut-être s’appuyer pour construire leur propre démarche.
S’ouvrir à des pratiques citoyennes d’expression et de création, caméras en batterie et micros tendus, dans nos villes ou nos campagnes, dans nos cités ou nos quartiers, ne nous oblige pas, si nous savons être clairvoyants, à imiter les modèles convenus développés par nos médias audiovisuels dominants. Le local n’est pas le global en miniature. Et il n’y a pas de fatalité pour le documentariste du local à devoir reproduire dans sa pratique à petite échelle, ce que d’autres feraient en grand sur les larges avenues de la globalisation.

S’il est vrai que les représentations globalisantes nous ont envahis jusqu’à entraîner un certain nombre de confusions dans nos esprits, elles n’ont heureusement pas complètement annihilé nos discours citoyens, ni les représentations que l’expérience forme en chacun de nous. Elles n’ont pas annihilé non plus notre désir profond d’être les promoteurs, les auteurs et les acteurs de nos propres créations, de nos propres modes d’expression, de notre propre parole.

Dans sa collecte d’images et de paroles auprès de ses concitoyens, la quête d’authenticité et de sincérité est une préoccupation centrale pour le documentariste. Le choix de ses témoins et la façon de s’adresser à eux sont déterminants dans la genèse d’un film documentaire. Ne pas se tromper dans ce choix neconstitue pas une difficulté insurmontable, dès lors que l’on sait y mettre un peu de discernement, puis d’expérience.
Même si elle y puise une part de sa créativité, l’investigation documentaire ne peut pas en effet s’en remettre totalement aux aléas de l’imprévu ou du hasard. Elle nous livrera ses fruits uniquement si nous savons nous mettre en situation de les recueillir. En d’autres termes, une parole – ou une image – de proximité pourra nous surprendre, nous étonner, retenir notre attention, seulement si nous savons mettre en place le dispositif apte à la faire émerger. Et c’est uniquement si certaines conditions sont réunies que nous verrons éclore ces discours enfouis aptes à nous libérer de l’étroitesse de certaines de nos représentations. Nous voulons ici poser quelques points de repère et règles simples, que nous avons appris à mettre en oeuvre et à maîtriser dans le cours de notre pratique et de notre expérience de production de proximité.

Une première règle doit s’imposer à notre documentariste du local. Règle dont il pourra faire un véritable dogme, et qui tient en quelques mots : en toute matière, s’efforcer de penser local, et non global. Par exemple, à la question : « Que pensez-vous de…? », il va s’efforcer de substituer une autre question qui est :« Quelle expérience avez vous de… ? ». Cette simple distinction va profondément influer sur la nature des discours et des images qui émergeront de sa quête.
Dans une société où le débat entend tenir une place importante, nous avons pu mesurer à quel point la mise en application de ce seul principe peut donner du sens, de la pertinence et du talent à une expression de proximité. Cette seule parole d’expérience que nous nous proposons de solliciter – et qui peut être une
parole de professionnel comme de simple citoyen – pourra devenir le véritable moteur d’investigations documentaires aux moissons fructueuses.
En effet, dans la grande majorité des cas, les citoyens que nous sommes se révèleront plus pertinents lorsqu’ils relateront une expérience vécue que lorsqu’ils nous feront part de leurs opinions ou de leurs réflexions sur une sujet donné. Et cela qu’ils soient abordés en tant qu’habitants, parents, professionnels, usagers, jeunes, femmes, hommes, etc., sur une quelconque question, qu’elle soit liée à leurs origines, leur culture, leur travail, leur éducation, ou tout autre sujet. Dur constat peut-être à admettre pour beaucoup d’entre nous, si prompts à vouloir exprimer leur opinion en toute chose. Mais repère fondateur du point de vue du documentariste, professionnel ou amateur, car il trouvera là la source de bien des révélations qui font la force d’une expression citoyenne.

(Extrait)